A la fin de mes études supérieures de deuxième cycle en philosophie et troisième cycle en psychologie sociale, rien ne me destinait au métier de soignant. Ce sont les aléas de la vie qui m'y ont conduit. Cependant, au fil des années et des personnes rencontrées, j'ai trouvé une satisfaction grandissante dans ce métier : la capacité de soulager à mon échelle les personnes les plus fragiles, les malades et les personnes âgées. Ce sont ces dernières qui me touchent le plus. J'aimerais leur rendre hommage, modestement, ici en vous faisant part de certaines de leurs histoires. Mon but est de vous faire réfléchir à leur sort et à l'injustice dont ils souffrent souvent.
La plupart d'entre nous sommes parents et enfants dans le même temps, pour ceux qui ont la chance d'avoir encore leurs parents en vie. C'est à ce double registre qu'il est intéressant de se placer pour comprendre les petites histoires que je compte vous raconter, progressivement.
I Sauvée in extremis
Yvette avait 92 ans et avait encore toutes ses facultés. Elle habitait dans sa maison, où elle recevait quotidiennement l'aide d'auxiliaires de vie. Elle menait donc une vie tranquille. Mais à la suite d'une hospitalisation, elle avait été admise dans une clinique SSR (Soins de Suite et Réadaptation).
Après quelques temps, elle avait récupéré ses facultés, à tel point que le médecin chef ainsi que toute l'équipe médicale et soignante étaient favorables à son retour chez elle.
Mais cet avis n'était pas partagé par sa fille unique, qui était décidée à la faire entrer en maison de retraite. Les auxiliaires de vie, qui s'occupaient très bien de la vieille dame, qui de son côté s'était aussi attachée à elles, firent tous leurs efforts pour convaincre la fille de laisser sa mère à son domicile. Mais en vain. Sa décision était irrévocable.
Dès que la vieille dame eut connaissance de cette résolution, elle sombra rapidement dans une dépression. Elle ne voulut plus s'alimenter et se laissa glisser hors de la vie.
Le jour fatidique arriva. On devait préparer la valise de la vieille dame pour le grand départ. Ce jour-là je devais travailler et je comptais lui faire mes adieux. Mais en arrivant à la clinique, mes collègues de l'équipe de nuit m'apprirent la triste nouvelle : Yvette était décédée à six heures du matin.
Elle avait dû prier Dieu si fort pour qu'Il la sauve de cette horrible fin, qu'Il avait fini par l'entendre et l'exaucer. En Islam, on dit que Dieu entend tout particulièrement la prière de ceux qui souffrent. Et quelle plus grande souffrance que celle d'une personne âgée et par conséquent très fragilisée, qui souhaite plutôt la mort que l'abandon des derniers vestiges de sa vie passée pour l'enfermement dans un lieu froid et anonyme ?
J'espère qu'Yvette a trouvé la paix et que sa fille réfléchira aux conséquences de son égoïsme.